double jeu
Double Jeu
En ouvrant le dernier Vogue ce matin, je suis tombée sur cette publicité Dior. Rien de très original en apparence, une fille avec un manteau et un sac, c'est un peu le signe que nous sommes entrés dans la saison froide, mais aussi la saison où on peut être bien habillé sans penser toutes les 5 secondes à sa ligne/si ce qu'on porte est décent/et finalement qu'est-ce qu'on va mettre (vous voyez, je suis de tout coeur avec vous), tout cela à condition de choisir judicieusement les dit sac et manteau. Bref.
Ce qui m'a frappée tout de suite, c'est cette impression définitive que cette fille sur la photo était une lycéenne. Une de celles qu'on recontre aux heures de sorties des cours, par dizaine, par grappes joyeuses, à la fois désordonnées et agencées selon des codes adolescents très subtils. OK, pour ma décharge, je ne connaissais pas Jenifer Lawrence ni Hunger Games (mais depuis je me suis renseignée un minimum, histoire de ne pas passer pour une extraterrestre - ce que je suis un peu tout de même, entre nous). Mon regard neuf sur la chose me permet je crois de pointer plus facilement cette chose étrange : Jenifer Lawrence n'a sans doute pas été choisie par Dior pour cette campagne d'abord parce qu'elle était belle/actrice/connue, mais parce qu'elle avait l'air d'une lycéenne*, et que par extension, toutes les lycéennes finiraient par trouver ça désirable, voire normal, d'avoir un sac Dior comme sur cette photo.
Non parce que vous, à 40 ans, vous vous identifieriez à cette fille sur la photo, là, tout de suite, comme ça ? Dites-moi tout. Enfin, surtout, dites-moi que non, parce que sinon, j'ai dû me tromper dans mes calculs, je suis plus près des 60 ans en fait. Quelque chose me dit (et je crois que je ne suis pas la seule à le penser) que l'industrie du luxe est en train d'opérer un virage impressionnant dans son ciblage de clientèle. Et ça me laisse rêveuse. Beaucoup de questions me viennent : "Une fille de cet âge peut-elle penser sérieusement s'acheter un sac à un tel prix ?" "Quel est l'intérêt d'un tel ciblage ?" "Pourquoi une femme dans la perfection de sa jeunesse mûre** serait-elle totalement out de cette pub (comprendre : je vois une jeune fille qui pourraient être ma fille et un sac qui pourrait être celui de ma (grand)mère... mais je ne vois rien qui concerne une fille de mon âge) ?
Bref. Des questions qui peuvent sembler très secondaires, mais qui, à mon avis, valent sur le fond la peine de réfléchir un peu. Notre société joue un drôle de jeu. D'un côté, les jeunes filles sont bombardées d'images de femmes "parfaites", "minces", auxquelles elles se sentent obligées de ressembler, et d'autre part, c'est leur insouciance, leur beauté floue et adolescente, leur fraîcheur que l'on traque. Jusqu'à cette nouvelle mode d'une peau qui brille, comme par hasard, sur le front, le menton, le nez***... enfin pas besoin de vous faire un dessin, la nouvelle beauté est celle d'une peau mixte, typique des adolescentes, à tendance "qui brille" - mais bien sûr, personne ne vous le dira, hein, il s'agit de vous vendre des produits ad hoc pour atteindre ce nirvana de la beauté - chers, les produits, de préférence****.
Au début je ne voyais pas trop ce que je pouvais en conclure... - enfin si vous avez quelque chose à ajouter, vous, n'hésitez pas. Je trouve déjà intéressant de souligner la chose. Comme si on nous mettait toujours devant les yeux quelque chose de nouveau, de désirable parce que nouveau... que ce nouveau, en fait, c'était déjà nous au point de départ, mais qu'on avait oublié que c'était nous à force de se perdre dans des projections. Vous me suivez ?
Et s'il doit y avoir une conclusion, c'est peut-être celle-ci : désirer être celle qu'on est, avant d'avoir à désirer être une autre. C'est déjà tout un chemin... et si c'est exigeant et laborieux, l'avantage, c'est que ça ne coute pas un euro, et que ça rend heureux.
Sur ce, je vous dis à très bientôt !
* non parce qu'elle n'a toujours l'air d'une lycéenne, à 23 ans, mais là, c'est clairement mis en valeur par la façon dont elle est maquillée...
** je vous reparlerai de ça... non mais parce qu'à 40 ans, on est parfaite, non ? ; )
***la photo en est un petit exemple... on en parle ici aussi, d'ailleurs dans le dernier Vogue aussi.
**** que les lycéennes qui me lisent n'en concluent pas que je pense qu'elles ont toutes la peau qui brille, hein... Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Et puis d'ailleurs, une peau qui brille, c'est plutôt joli quand on en prend soin ! Enfin, vous l'avez compris, le sujet de ma réflexion n'est pas là.